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2.24.2016

La mémoire qui joue des tours

Après une longue journée en raquettes, le long bain et la remise en place des attributs de beautés, on avait envie de sortir. Une soirée blues avait lieu du côté du Pub où je sors souvent et mes amis m’offrent de me joindre à eux pour venir terminer la journée. Petit pub de région, on reconnait les gens du coin à leur habillement simple et confortable. Mes amis, voulant impressionner ou je ne sais quoi, ont choisit les camisoles affriolantes pour les demoiselles et les chemises cintrées pour les garçons. Moi, t-shirt et foulard, bottes lacées et jean confortable. Cheveux libres et frisés, maquillée sobrement. Je détonne par mon naturel au sein de mon groupe et ça me plait d'avoir ce petit caractère unique parmi les autres.

Une fois sur place, on se commande chacun une bière et fidèle à mon habitude, je prends une pinte de rousse bien froide; le plaisir de la fin de journée hivernale. Presque toute la population du bar provient d’ailleurs, nous ne sommes que 3 ou 4 incluant les barmaids, natifs de l’endroit. Et bien que j’y retourne assez souvent, je ne peux pas en dire autant des gens de mon âge qui, en général, ne reviennent qu’en de rares occasions. Ce soir-là, c'est un de mes amis du secondaire qui est chansonnier. Il fait beaucoup de blues et de folk, l'ambiance est bonne. Je le salue entre deux chansons, et m'assois pour l'écouter.

Au moment où la situation se produit, je ne peux pas avouer que l'endroit pullule de spécimens particulièrement sexy; certains garçons profitent d'un avantage certain sur certains autres, mais rien pour inonder les culottes des filles.


Les yeux se tournent vers la porte. Je vois des visages changer d'expression en moins d'une seconde. J'en souris en comprenant ce qui se passe.

Un homme entre. 
Grand. Yeux bleus perçants. Crâne rasé.
Assez musclé sous son chandail blanc, jean foncé.
Une bouille de tombeur, sans imperfection aucune.


Bref, un idéal masculin pour n’importe quelle femme qui se respecte.


Je le connais depuis longtemps en fait.
Policier pour la Vieille-Capitale. Mi-quarantaine. Sportif.
Adepte de moto, bateau, véhicules en tous genres... en fait tout ce qui a un moteur et qui fait du bruit.
Adore les voyages et les expériences téméraires.
Découpé au couteau et disons, assez bien conservé.


Patrice, son nom. 


Il avait étudié avec mon frère à une certaine époque et sa soeur était ma gardienne pendant un été. De toutes ses périodes de vie, disons que la quarantaine lui faisait à merveille. D’où j’étais assise, il ne pouvait pas remarquer que j’étais là. De toutes façons, je dois avouer que depuis la dernière fois que je l’avais croisé, j’ai changé un peu mon apparence et je ne suis pas tellement certaine qu'il m'aurait reconnue à la seconde-même.  

Patrice, c'est le genre d'homme qui attire les regards, les compliments et les invitations. Il profitait à l'époque pas mal de son physique avantageux. C'était un peu devenu le running gag du coin, de savoir avec quelle pitoune il allait débarquer durant le congé des Fêtes, pour se pavaner dans sa Corvette et la parader à la messe de minuit. Comme j'étais restée sur cette image du garçon imbu de lui-même et un peu tête en l'air, autant dire que je suis la seule fille du bar qui ne porte pas trop attention à ce qu'il fait durant la soirée. Mais ça me fait un terrain de jeu visuel de regarder les filles se présenter à lui presqu'en faisant la file pour faire sa connaissance, exposant leurs armes de séduction massives et battant de leur faux cils de façon presque surhumaine.

Il est assis au bar et bizarrement, il ne semble pas aussi social et jovial qu'à son habitude. Il leur sourit poliment, leur sourit et les écoute, mais il ne parle pas tant que ça. Première chose qui me surprend. Normalement, il  aurait perdu son regard dessous le pli du sein de l'une et la main dans la poche de jean de l'autre en se laissant couvrir de compliments et de beaux mots en accumulant les jeux de mots un peu salace du vocabulaire policier...

Il semble différent. Mais bon, je ne m'y attarde pas trop.

Il y a dans l'air un soupçon de féérie, avec la neige qui tombe à l'extérieur et la musique qui joue, je finis par prendre mes aises et apprécie le spectacle.

Un garçon que je ne connais pas vient s'asseoir à la table.
Dominique.


Un gaspésien qui s'est visiblement un peu perdu pour se retrouver dans un village de 300 personnes au sud de la province. Il se présente à moi de façon plutôt concise, n'attendant pas que je l'invite à s'asseoir. En fait, je finis par deviner qu'il est un ami du chansonnier à force de discuter. C'est sa première visite dans ma région, il me raconte qu'il adore mon coin de pays et que ça lui rappelle sa Gaspésie natale. Ça me touche profondément, d'abord parce que je suis une fille de campagne et que je suis encore tellement attachée à ma patrie malgré mon déménagement qui remonte à quelques années, mais aussi parce que je suis surprise de voir que la beauté de mon coin se révèle à d'autres yeux et que quelqu'un comprend mon attachement à ma petite municipalité.
Déjà, son caractère un peu rebelle me fait sourire. On discute un peu. Il me dit que son ami, affecté à la lourde tâche de nous pousser la note, lui a raconté que j'étais aussi chanteuse et auteure à mes heures et qu'il aimerait que je lui fasse entendre ce que j'ai de matériel à date. Lui aussi adore le folk et cherche une chanteuse pour faire les voix de son E.P. à sortir l'été prochain. On discute de musique, de voyages et de moto. Après que j'aie offert deux ou trois tournées, mes amis claqués rentrent au chalet loué pour le weekend, mais je reste. J'ai encore de l'énergie et je vais aller dormir à la maison familiale pour les rejoindre demain au brunch.

On rit beaucoup, en se regardant dans les yeux. Une complicité naturelle.
On s'entend sur tout, on a le même humour sarcastique et les mêmes références dans notre allusions. Bref, ça clique. Assez que je ne me rend pas compte que les trois-quart du bar se sont vidés et que je suis l'une des dernières encore dans la place. Dominique finit par quitter la table pour aller aider son ami à ramasser son matériel. Dans un dernier échange, il finit par me donner deux baisers sur les joues en me tenant la taille, et me fait un clin d'oeil 
en me laissant son numéro de téléphone sur la table.
Le temps file, il est 2h30 du matin.
Le chansonnier range son équipement, le système de son s'active et Tracy Chapman est en vedette pour la fin de la soirée. J'adore la musique. Je décide de prendre un dernier verre avant de quitter, alors je m'approche du bar, question d'aller jaser avec les barmaids qui préparent leur fermeture.

Patrice est encore là, à jouer sur son téléphone et à surfer pour regarder les résultats des équipes sportives. Il lève les yeux lorsque j'arrive derrière lui et on se sourit, sans se dire un mot. 


Je mets mon manteau sur le dossier d'un banc juste à côté de lui et je file aux toilettes.
À mon retour, un verre m'attend sur le comptoir.
Dry Martini et si je me fie à la couleur, il y a un peu de jus d'olives dans le drink.
Je pense qu'il a eu un peu d'aide des barmaids pour le choix du verre, puisqu'il n'y a que moi qui commande ce drink, fidèle à mon habitude.

Je m'asseois, il se présente.
«Bonsoir, moi c'est Patrice.»
Je ris. Il se présente, me complimente et durant de bonnes minutes, il ne laisse pas vraiment paraître qu'on se connait déja. J'embarque dans le jeu, répondant à ses questions, lui parlant de mon occupation professionnelle et de mes hobbies. Je garde une part de secret pour alimenter le mystère. Mais il semble beaucoup moins confiant maintenant que ce que j'avais déja vu de lui auparavant.

Il ne sait pas qui je suis, mais alors là, pas du tout.
Et ça me surprend beaucoup, vu la proximité des gens du coin et de mon habitude de me faire reconnaître vu mon côté plutôt social.


3h sonne.
Dernier verre?
Je lui paie une bière pour lui rendre la pareille.

Il se met à me raconter son dernier voyage au Honduras, ses yeux s'illuminent lorsqu'il me raconte la spectaculaire histoire des scorpions qui avaient envahi sa chambre d'hotel bas de gamme et qu'il me montre ses photos de vipères colorées.

Il me dit: «Avant de partir, je ne sais pas ce que tu en feras, mais j'aimerais que tu prennes mon numéro. Ce sera ton deuxième ce soir, mais bon... j'espère que j'aurai d'assez bons arguments pour que tu veuilles qu'on reprenne la discussion où on en était!..»
- Pourquoi tu sais que j'ai déja eu un numéro?
- Parce que je t'ai regardé quelques fois depuis que je suis arrivé et je l'ai vu te le donner.

- Tu avais le temps, entre deux pétards qui te glissaient des décolletés sous le nez, de jeter un oeil à ma table? lui dis-je avec une pointe d'ironie.
- Faut croire que c'est celles qui ont pas envie d'attirer l'attention qui finissent par tomber dans l'oeil des hommes, qu'il me répond en me fixant dans les yeux. Et comme tu dois être la seule ici qui ne m'a pas abordé, j'avais envie de savoir ce que tu avais de si différent.

Je reste un peu surprise de sa réponse.
Vraiment, le Patrice que je croyais connaitre n'est plus.


- De différent, je ne sais pas. Ça doit être mon côté «fille de campagne» que je nourris en revenant chez-nous trop peu souvent.

Je ne réalise pas encore qu'il ne se souvient pas de moi, jusqu'à ce qu'il me demande comment je suis arrivée dans le coin.
-Patrice, je suis d'ici. Je suis Jade. 25 ans. Dis-moi que tu niaises, c'est impossible que tu ne me reconnaisses pas! 


Je crois qu'il en a pris pour son rhume, parce qu'il avait l'air tombé des nues. Son expression a totalement changé. Dès lors, il a commencé à me regardé avec un regard différent. Je dirais, plus sincère... et à mesure que je lui nommais mes frères et mes liens avec lui, il devenait intéressé. Comme s'il avait ressassé les souvenirs du passé et qu'il faisait des liens.

Je devais avoir déclenché en lui un désir de me montrer sa «mâlitude».. l'effet du jus d'olive sûrement. Quoique je m'étais mise en mode «chill out» pour la soirée, le voir me toucher la main en signe d'approbation et l'entendre me poser des questions me mettaient dans un espèce de tourbillon un peu étrange. Ça faisait ressortir un côté humain que je n'avais pas vu avant chez-lui, ou que je ne lui connaissais pas. Et peut-être aussi que le fait que je n'aie pas engagé de propos  pour le flatter dans le sens du poil ou pour le séduire a dû aussi l'échauffer parce que pour la première fois depuis son entrée dans le bar, il avait réellement l'air d'avoir accroché son regard sur quelque chose.

Une femme.
Une femme qui n'avait aucun des critères habituels pour même lui faire se tourner la tête.
C'était assez improbable.. et plutôt perturbant.



Malheureusement, il fallait partir.






La suite... à venir!



Mamz'Elle J xx














2.22.2016

Celle que l'on choisit

J'ai ouvert son message.
Quand j'ai vu la longueur du propos, je l'ai refermé. Je savais. Je le sentais.
J'ai ces papillons noirs dans le ventre chaque fois que je rencontre de ma région et que j'ouvre mon réseau internet sur l'autoroute. J'ai l'intuition qui me dit que quelque chose va se pointer.

Il ne m'avait pas appelé ni texté pour prendre connaissance de mes plans pour la soirée comme il le faisait spontanément tous les dimanches matins. Parce qu'à notre habitude, nous soupions ensemble autour d'une bouteille de rouge et on discutait de tout et de rien sur le sofa durant des heures avant de finir peau contre peau sous ses draps que j'asperge de mon parfum tous ces matins où je reste au lit alors qu'il quitte travailler.

Je lui ai offert de me rendre tout de suite chez-lui pour lui redonner ses choses. Pour qu'on puisse tourner la page le plus rapidement possible. Parce que j'avais envie de ne pas trop laisser traîner les émotions chacun de notre bord. Pour que ce soit facile, rapide et qu'on n'en fasse pas une histoire.
Surtout moi, qui ai une tendance assez forte pour la nostalgie inutile et les pensées autodestructrices ridicules.

Il ne voulait pas. Il me suppliait de ne pas venir, il voulait du temps pour réfléchir.

Réfléchir à quoi.. il venait de me dire qu'il n'était plus certain de rien. Qu'il avait passé la journée avec son ancienne copine pour l'anniversaire de leur fils et qu'il avait l'estomac à l'envers. Il avait peur que ça ne soit pas encore réglé dans sa tête, même malgré ses sentiments pour moi.

Je n'avais pas envie de laisser du temps à quiconque.
Parce que si c'était pas maintenant, ça allait être plus tard.
Et je n'y croyais plus qu'un jour, après une réflexion, j'allais être la grande gagnante de ce jeu qu'on appelle «celle que l'on choisit». Même s'il me regardait depuis des semaines avec les yeux d'un homme qui avait trouvé ce qu'il ne cherchait plus. Et qui avait les paroles et les promesses qui collaient avec le regard en question..

Il y a des fois où je me dis que lorsqu'on doit réfléchir sur nos sentiments, c'est simplement une façon détournée de demander du temps pour trouver une façon d'annoncer la réponse qui nous semble si facile...

Je suis arrivée, j'ai sonné.

Il s'est levé du sofa, en pyjama.
À travers la vitrine de la porte, je l'ai vu me fixer, les yeux tristes.
Je n'avais jamais vu ce regard. Ça m'a transpercé l'âme.

Je n'avais pas obéis à son désir d'attendre et visiblement se présentait à lui ce qu'il redoutait.
Au moment où il a tourné le loquet, j'ai rassemblé mes énergies et l'orgueil qui me restait et j'ai pris une inspiration pour brouiller mes pensées et bloquer mes émotions.

Il m'a ouvert et je suis entrée.
Il a craqué. A répété mon nom 3 fois en pleurant et en haletant.

Je ne l'ai plus regardé dans les yeux.
Je lui ai tendu un sac, avec 2 de ses chandails, sa clé USB de musique de roadtrips qu'il m'avait fait pour que je pense à lui lors de mes voyages d'affaires et sa brosse à dents.

J'ai ouvert l'anneau de mon porte-clé.
Il me répétait «Non, garde-le. S'il te plait, garde-la.»

Pendant que je tournais le cercle de métal pour en sortir la clé de sa maison, je l'entendais sangloter et me dire qu'il était désolé. Ça m'aurait arraché le coeur normalement.
Mais je ne me sentais pas l'envie de devenir sensible.

Il a retenu ma main dans la sienne quand je lui ai donné sa clé.
Il tremblait. Il a donné un long bec sur mon front en me prenant contre lui, ses larmes me coulait dans le visage.

Il le savait que je n'étais pas en colère, ni jalouse de cette femme.
Je n'avais aucune rage en moi. J'étais simplement déçue.
Il connaissait mon historique de déceptions. Il savait dans quel état j'étais.
Il devinait en connaissance de cause, la blessure que j'essayais de camoufler.

Il le savait qu'il venait de donner le dernier coup pour abattre l'animal qui souffre.

J'ai quitté en ne regardant pas derrière.
Je l'ai entendu pleurer et dire mon nom entre deux reniflements.
Mais je ne me suis pas retournée.

J'ai aperçu sa silhouette dans la vitrine du salon jusqu'à ce que je tourne à droite en bas de la rue.
Le système de son à fond la caisse dans mon auto, j'ai écouté du rock et j'ai mis l'air climatisé à fond pour me tenir réveillée avec du vent froid dans le cou.

Je suis arrivée chez-moi 35 minutes plus tard, conquise et chamboulée.

L'énergie à plat.
Je n'avais pas faim, pas froid, Mais j'avais soif.
Un Southern sur glace d'une traîte, je me suis couchée et ai inondé mon oreiller avec le cadavre de ce que j'avais dans le coeur.

Au petit matin, quand j'ai ouvert les yeux j'avais des traces de mascara plein le visage. Mais je n'avais pas son t-shirt. Ni ses yeux qui me regardaient me réveiller tranquillement.
Et je souhaite que, si ça ré-arrive un jour, ce soit parce que je suis celle qu'il ne cherchera plus jamais.

Je sais que son lit sentira mon parfum encore quelques jours..

..tant pis.


Jade xx